La passion pour la découverte et les sciences fut inculquée à Mike Sapieha dès son plus jeune âge par ses parents physiciens. « Nous recevions constamment des académiciens chez nous et les conversations autour de la table étaient toujours fortement stimulantes. » Mais, c’est dans un café situé au bord d’une rivière de l’Himalaya, en Inde, que Mike Sapieha a réalisé qu’il voulait se consacrer entièrement à la recherche scientifique.
« Après mes études doctorales en neurosciences à l’Université de Montréal, je suis allé passer près d’un an en Asie pour faire de l’escalade et de la haute montagne, raconte le spécialiste des maladies neuro-vasculaires de l’œil. Quand je suis revenu, je me suis relancé tête première en science. » Une décision qui allait s’avérer bénéfique non seulement pour lui, mais aussi pour les patients qui souffrent de pathologies oculaires. « C’est un grand privilège de pouvoir travailler tous les jours avec des équipes d’étudiants et de chercheurs dynamiques et passionnés. On partage avec enthousiasme notre désir de mieux comprendre le fonctionnement d’une cellule saine et de décortiquer les mécanismes qui mènent aux maladies, dans le but ultime d’aider le patient. »
Mike Sapieha a complété deux postdoctorats en biologie vasculaire, l’un à l’Université McGill, où il a fait son baccalauréat en biochimie, et l’autre à l’école de médecine de Harvard. Il se joint ensuite au Centre de recherche de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, où il met sur pied une équipe spécialisée en santé de la vision. « C’est par hasard que je me suis intéressé à ce domaine, admet le chercheur de 38 ans né à Lodz, en Pologne et arrivé au Québec à l’âge de 4 ans. J’ai travaillé en début de carrière pour l’industrie pharmaceutique afin de développer des médicaments contre le cancer. C’est là que j’ai développé un intérêt pour la thérapie génique. Or, à l’époque, le meilleur organe pour étudier les effets de cette approche thérapeutique était l’œil, plus particulièrement la rétine.»
C’est un grand privilège de pouvoir travailler tous les jours avec des équipes d’étudiants et de chercheurs dynamiques et passionnés. On partage avec enthousiasme notre désir de mieux comprendre le fonctionnement d’une cellule saine et de décortiquer les mécanismes qui mènent aux maladies, dans le but ultime d’aider le patient.
Au fil du temps, Mike Sapieha et son équipe finissent toutefois par délaisser quelque peu la thérapie génique pour s’attarder à l’impact du métabolisme des neurones sur les vaisseaux sanguins oculaires. Ils ne tardent pas à réaliser deux découvertes importantes, qui ont fait l’objet d’articles publiés dans Cell Metabolism en 2013. « Nous avons commencé à étudier comment les neurones communiquaient avec les vaisseaux dans le cas de diverses pathologies vasculaires de l’œil, explique celui qui est aussi membre du corps professoral du Département d’ophtalmologie et de celui de biochimie et médecine moléculaire de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal. Dans des études distinctes, nous avons identifié que des molécules de guidage axonal qui normalement contribuent au développement de l’embryon sont exprimées de façon anormale dans les pathologies vasculaires de l’œil. »
La première, la nétrine-1, est normalement présente dans un œil en santé, mais voit sa production bloquée lorsqu’il y a, par exemple, rétinopathie avancée. « Or, nous avons trouvé que la nétrine-1 a la faculté de régénérer des vaisseaux sanguins fonctionnels dans les zones dévascularisées par la maladie, et ce, à travers une stimulation du système immunitaire, indique M. Sapieha. Donc, nous entrevoyons des approches thérapeutiques via la réintroduction de la nétrine-1 pour réparer les dommages causés par le stress diabétique. » La deuxième, la sémaphorine 3A, est à peu près absente d’un œil sain, mais au contraire produite en grande quantité lorsqu’il y a diabète. « Nous avons découvert que la sémaphorine 3A agit directement sur les vaisseaux et qu’elle les rend moins étanches, provoquant ainsi l’œdème maculaire, poursuit le titulaire de la Chaire de recherche du Canada en biologie cellulaire de la rétine. Donc, en l’inhibant, il serait possible de contrôler cette affection, qui représente 25 % des pertes de vue chez les diabétiques. »
Même s’il faudra encore quelques années de travail pour que ces avancées se traduisent en applications cliniques concrètes, elles sont clairement un pas dans la bonne direction. « Elles ne pourront pas régler ces problèmes, qui ont une origine d’ordre systémique, mais elles contribueront à ralentir l’évolution des rétinopathies, affirme Mike Sapieha. Ces découvertes peuvent également être utiles pour le traitement d’autres maladies de la rétine, telles la rétinopathie du prématuré et la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), et s’avérer des pistes intéressantes pour étudier des pathologies avec des manifestations vasculaires semblables comme les maladies cérébro-vasculaires et la sclérose en plaques. »
Avec ce succès, il n’est pas étonnant que M. Sapieha ne regrette aucunement d’avoir fait le grand saut en recherche. « Je suis très heureux de mon choix, assure celui qui est aussi le papa de deux jumeaux âgés de trois ans. Même si je n’ai plus vraiment le temps de faire de l’escalade…»
Avril 2014
Rédaction : Annik Chainey