La décision de Didier Jutras-Aswad de se diriger vers la psychiatrie a été motivée au départ par des raisons personnelles. « Il y a des membres de ma famille qui ont souffert de problèmes de santé mentale et de toxicomanie. Il y a même eu des décès liés à ces problèmes. J’ai pu voir de près comment ces maladies peuvent être destructrices et j’ai décidé de transformer ces expériences marquantes en quelque chose de positif », confie le psychiatre.
Après avoir complété sa résidence en psychiatrie à l’Université de Montréal en 2008, le jeune médecin réalise son postdoctorat au laboratoire de la professeure Yasmin Hurd au Mount Sinai School of Medicine à New York. « La Dre Hurd était à la tête d’un laboratoire qui étudiait la toxicomanie à l’aide de modèles animaux. C’était absolument fascinant d’observer le développement de la dépendance aux opioïdes, comme l’héroïne et la cocaïne, chez les rats. Et encore plus de savoir qu’on pourrait peut-être utiliser ces connaissances pour améliorer les traitements offerts aux patients ».
À New York, le Dr Jutras-Aswad pratique aussi en clinique, notamment auprès de vétérans aux prises avec des problèmes de toxicomanie, un syndrome post-traumatique et d’autres problèmes de santé mentale. « C’est à New York que j’ai vraiment pu acquérir une expertise dans le traitement de patients souffrant de trouble concomitant, c’est-à-dire, de toxicomanie et de troubles psychiatriques. » De retour à Montréal en 2010, il est déterminé à améliorer les traitements offerts à ces patients et à en faciliter l’accès le plus possible. « Il existe plusieurs ressources de traitement pour la toxicomanie ou la santé mentale, mais peu sont adaptées pour les gens qui souffrent des deux problèmes à la fois et qu’on sait maintenant avoir des besoins particuliers. »
Didier Jutras-Aswad est aujourd’hui professeur agrégé de clinique au Département de psychiatrie de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal. Il est directeur de l’unité de psychiatrie des toxicomanies du CHUM (UPT-CHUM), un programme de troisième ligne spécialisé dans l’intervention auprès de patients comorbides, souffrant de toxicomanie et de troubles psychiatriques comme la schizophrénie, la maladie bipolaire ou la dépression grave. L’UPT-CHUM est constituée d’une équipe multidisciplinaire spécialisée en toxicomanie et santé mentale où travaillent conjointement entre autres des médecins psychiatres, travailleurs sociaux, nutritionnistes et pharmaciens.
La toxicomanie peut toucher tout le monde, la personne en situation d’itinérance, mais également un jeune d’une famille aisée… ou même un médecin. […] Je travaille activement à combattre ces préjugés!
Le Dr Jutras-Aswad travaille à mettre au point de nouveaux traitements contre la dépendance à la cocaïne et aux amphétamines. À l’époque où le chercheur travaillait au laboratoire de Yasmin Hurd, une étude préclinique avait été menée sur des rats afin d’explorer l’usage d’un cannabinoïde dans le traitement de la toxicomanie. Des tests chez des humains avaient également été effectués. De nouvelles études cliniques ont été financées et démarreront au cours des prochains mois au CRCHUM. « L’idée est d’innover en utilisant des stratégies comme la modulation du système endocannabinoïde, de même que d’autres systèmes de neurotransmission comme les systèmes glutamatergique et sérotoninergique. »
Dr Jutras-Aswad est également chercheur affilié au Centre de recherche du CHUM (CRCHUM). Il poursuit actuellement des travaux de recherche qui visent à étudier l’impact de la desvenlafaxine, un antidépresseur disponible sur le marché, mais qui n’a jamais été étudié auprès des personnes dépendantes aux opioïdes, comme l’héroïne. « Les antidépresseurs ciblant uniquement la sérotonine, comme la fluoxétine ou la sertraline, se sont avérés inefficaces dans les études cliniques menées chez les patients souffrant de troubles liés à l’usage d’opioïdes. Une des hypothèses est que le substrat biologique de la dépression dans cette population implique possiblement de façon plus importante d’autres systèmes de neurotransmission comme le système noradrénergique. Le choix de la desvenlafaxine est basé sur cette hypothèse, l’idée étant de cibler plus d’un système de neurotransmission avec le même médicament », indique le chercheur.
Le Dr Jutras-Aswad est un des investigateurs principaux de l’étude pancanadienne OPTIMA qui se penchera sur un problème de plus en plus répandu au sein de la population, la dépendance aux opioïdes de prescription, notamment les médicaments contre la douleur, vendus de manière illicite. À cet effet, selon une étude publiée en décembre 2014 par l’Institut national de santé publique du Québec, entre 2000 et 2012, 1 775 décès auraient été attribuables à une intoxication aux opioïdes au Québec. Entre 2010 et 2012, quelque 540 décès étaient attribuables à une intoxication par opioïdes, dont 93 % aux médicaments opioïdes. « Le recrutement pour l’étude OPTIMA débutera vers la fin de 2016. Le CHUM sera un des principaux établissements de recrutement de participants qui seront entre autres recrutés au sein des cliniques de médecine et de psychiatrie des toxicomanies. Cette étude pourrait vraiment changer notre façon de traiter les personnes souffrant de trouble lié aux opioïdes de prescription. »
Le travail du Dr Jutras-Aswad vise à soigner une population vulnérable, mais également à lutter contre les préjugés. « La toxicomanie peut toucher tout le monde, la personne en situation d’itinérance, mais également un jeune d’une famille aisée… ou même un médecin. Il y a des préjugés à l’égard des personnes toxicomanes au sein de la société et même dans le réseau de la santé, ce qui fait en sorte qu’ils ne reçoivent pas toujours les soins appropriés. Je travaille activement à combattre ces préjugés! »
Le Dr Jutras-Aswad est passionné par son travail, mais pour décrocher, il aime s’adonner au squash avec des amis. Toutefois, SA véritable passion est l’art culinaire. « J’adore cuisiner et découvrir de nouveaux restaurants. Je suis allé en Toscane l’année dernière et j’ai eu un véritable moment d’extase en goûtant un spaghetti cacio e pepe, composé de pâtes, de parmesan, de beurre et de poivre. Un plat d’une simplicité désarmante, mais je m’en souviens comme si c’était hier! », dit-il en riant et en roulant les yeux de bonheur.
Juin 2016
Rédaction : Técia Pépin
Photo : Bonesso-Dumas