Accoucher redeviendra dangereux, les écorchures pourront tuer, une simple otite pourra entraîner une surdité: voilà à quoi ressemblerait le retour à un monde sans antibiotiques. Principalement causée par leur mauvais usage chez l’humain et dans l’industrie agroalimentaire, l’antibiorésistance figure parmi les plus grandes menaces actuelles pour la santé.
Particulièrement préoccupé par cet enjeu, le microbiologiste et professeur du Département de microbiologie, infectiologie et immunologie de l’Université de Montréal Yves Brun y consacre une part importante de ses travaux. À titre de titulaire de la Chaire de recherche Canada 150 sur la biologie cellulaire bactérienne, il mène des recherches sur les mécanismes fondamentaux des processus bactériens qui sont plus que jamais essentielles.
Et grâce au Programme d’intégration de la génomique de Génome Québec, le chercheur vient de recevoir un appui financier majeur pour tester une approche innovante qui pourrait changer la donne.
«Diversifier notre arsenal, vite»
Avec cette subvention, Yves Brun et son équipe comptent mettre sur pied une plateforme pour notamment découvrir de nouveaux antibiotiques faisant appel à des mécanismes d’action inédits, susceptibles de traiter les infections antibiorésistantes.
«Il est urgent de concevoir des stratégies novatrices pour trouver des antibiotiques dotés de nouveaux modes d’action, affirme le chercheur. Il faut être en mesure de trouver des composés que les bactéries n’auront encore jamais “rencontrés” pour élargir et diversifier véritablement notre arsenal d’antimicrobiens.»
Pour y arriver, la plateforme combinera l’intelligence artificielle (IA) et le criblage à haut débit par microscopie, une technique qui permet d’analyser rapidement un vaste éventail de molécules et de mutations génétiques. Ainsi, le criblage engendrera une grande quantité de données quant à l’effet des molécules sur les bactéries pour les comparer avec les effets des mutations de l’ensemble des gènes, qui seront déterminés de la même façon.
Développé en collaboration avec l’entreprise Valence et les professeures de l’Université Laval Flavie Lavoie-Cardinal et Audrey Durand, le système d’IA se chargera ensuite d’analyser ces énormes banques de données. Il pourra prédire lesquelles parmi les milliards de molécules répertoriées dans les collections informatisées (in silico) ont le plus fort potentiel d’activité antibiotique, pour ensuite les synthétiser et les tester.
D’une pandémie au microbiote, les applications sont multiples
Selon Yves Brun, la création d’une telle plateforme permettra d’approfondir la compréhension des bactéries et «laisse entrevoir des perspectives pour fragiliser l’action des bactéries et les rendre plus vulnérables». Elle ouvre également des avenues prometteuses, entre autres dans un contexte pandémique.
«La prochaine pandémie pourrait être de nature bactérienne, croit le microbiologiste. Et comme nous ne pouvons pas savoir à l’avance quelle espèce sera en cause ni à quoi elle sera sensible, il est préférable d’avoir préalablement une banque de molécules prêtes à être testées, en plus de posséder une plateforme pouvant analyser très vite cette nouvelle bactérie. Si nous étions en mesure de faire rapidement les criblages de toutes les mutations de la bactérie et de tester une énorme bibliothèque de composés chimiques, nous pourrions trouver rapidement une solution à un problème émergeant.»
Outre cette capacité à réagir promptement à de nouveaux pathogènes, Yves Brun estime que la plateforme pourrait aussi permettre de stimuler, inversement, les «bonnes» bactéries, comme celles composant le microbiote intestinal.
Grâce aux travaux du Dr Bertrand Routy, professeur au Département de médecine de l’UdeM et directeur du laboratoire d’immunothérapie et d’oncomicrobiome du Centre de recherche du CHUM, nous savons que les bactéries du tube digestif ont un effet sur la réponse des patients aux traitements anticancéreux. «Sachant que la présence de certaines bactéries peut améliorer le pronostic de certains cancers, nous pourrions utiliser la plateforme pour identifier les composés qui sont bénéfiques à leur survie et à leur reproduction», pense Yves Brun.
Rédaction : Béatrice St-Cyr-Leroux