Une magnifique robe turquoise seyante, un maquillage discret qui souligne des pommettes rieuses, un grand sourire d’émail. « Il fait plutôt froid, laissez-moi vous trouvez des pantoufles. » La table est mise pour rencontrer l’ophtalmologiste, la docteure Annick Mwilambwe, celle que ses patients appellent tout simplement « Dre Annick ».
On comprend rapidement pourquoi ses patients ont envie de la tutoyer : une chaleur et une bienveillance se dégagent de cette mère de six enfants d’origine congolaise.
Si la docteure Mwilambwe appelle ses patients par leur prénom et qu’elle prend des nouvelles de leurs enfants, c’est parce qu’elle a une approche humaine et sincère de la médecine. « Quand un patient vient me voir, il est vulnérable. Il me fait confiance. Ce n’est pas un anonyme, c’est quelqu’un avec une histoire. Alors je l’écoute. »
À ses yeux, la médecine est bien plus qu’une science, mais plutôt un art. L’art d’écouter. « Mes patients deviennent en bout de ligne des gens avec qui j’ai échangé. Ce n’est pas parce que j’ai des diplômes que je n’ai pas de cœur! », s’exclame-t-elle en riant.
Et du cœur, elle en a aussi à l’ouvrage. Puisque le parcours de cette femme n’aura pas toujours été un long fleuve tranquille.
À 17 ans, elle quitte Lubumbashi, la ville qui l’a vue grandir, pour aller faire ses études de médecine à Kinshasa, la bouillonnante capitale de la République démocratique du Congo. Au cours de sa scolarisation, il devient rapidement évident qu’elle est une élève douée et déterminée.
En troisième année de médecine, elle se marie avec le fils du directeur de bureau du président Mobutu. C’est donc enceinte de son troisième enfant qu’elle commence sa résidence en ophtalmologie, toujours à Kinshasa.
Quelques années plus tard, elle ouvre une clinique privée, déroutée de constater que la majorité des gens qui viennent consulter ne voient pas, pas parce qu’ils ont des maladies oculaires, mais simplement parce qu’ils n’ont pas de lunettes ajustées à leur vue.
Puis, autour de 1996, le pays s’enfonce dans la crise. La guerre civile éclate. La chute du président Mobutu se prépare. En raison de l’affiliation de sa belle-famille avec le président, Annick Mwilambwe deviendra malgré elle la cible de représailles : sa maison sera plusieurs fois pillée et saccagée.
Elle décide de partir au Canada, avec ses trois aînés. Mais comme elle laisse les trois plus jeunes en RDC, elle fera de nombreux va-et-vient entre son pays natal et le Canada. C’est en 2001 qu’elle décide de s’installer de façon permanente en Outaouais, au Québec.
Comme son diplôme en ophtalmologie n’est pas reconnu et qu’elle doit passer trois examens pour attester de ses connaissances en médecine, elle ne peut plus pratiquer. Par l’entremise de ses cours d’intégration, elle se trouve un poste à la Régie régionale de l’Outaouais, au département des remboursements.
Rapidement, elle assimile les rouages de l’emploi et parvient à abattre trois mois de travail en deux semaines. « Le Seigneur m’a fait grâce de comprendre facilement et rapidement », dit-elle humblement.
Immigration Canada lui remettra d’ailleurs le prix de l’immigrante de l’année pour son travail efficace et son adaptation à la communauté. « Pour moi, l’intégration c’est très simple : on arrive, on s’installe, on vit avec les gens, on échange avec eux. Et puis voilà. »
En 2005, une fois tous les examens réussis avec brio, elle entame sa seconde résidence en ophtalmologie, mais cette fois en sol québécois, à l’Université de Montréal.
Elle réalise bien vite que l’enseignement est abordé différemment d’un pays à l’autre. « Au Congo, l’éducation est plus calquée sur la méthode belge, où le professeur donne tout aux étudiants. Ils font la cuisine et tu n’as qu’à manger. Au Canada, il faut faire beaucoup de recherches personnelles. »
Elle s’étonne également du grand nombre d’enseignants qui ont croisé son chemin lors de sa résidence québécoise : « Chaque superviseur a une spécialité et va t’apprendre une méthode différente. Au Congo, on avait un ou deux professeurs qui enseignaient absolument tout. »
C’est ainsi qu’elle se fera un vaste réseau professionnel, mais aussi personnel. L’UdeM, c’est sa « grande famille ».
« Annick est une femme médecin hors du commun, douée de détermination, d’intelligence et de la grâce qui rend la vie plus douce pour ceux qui la côtoient. »
– La docteure Hélène Boisjoly, doyenne de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal et professeure titulaire au Département d’ophtalmologie
Comme elle se plaît à le dire, la docteure Mwilambwe « aime soigner l’amitié » et ses relations en général. Aujourd’hui, elle est remariée et cinq de ses six enfants habitent près d’elle au Québec.
Le dévouement tant maternel que professionnel de la docteure Mwilambwe ne semble pas s’être étiolé avec les années.
Dans quelques semaines, elle retournera vivre en RDC afin de devenir « l’ambassadrice de l’ophtalmologie en Afrique », déclare-t-elle avec un clin d’œil. Elle souhaite redonner à sa communauté et offrir son expertise à moindre coût, dans un contexte socio-économique difficile.
« Ce n’est pas tout le monde qui peut se permettre d’aller dans des pays plus développés que le Congo pour recevoir des soins décents. Est-ce que je dois rester éternellement ici, alors que j’ai quelque chose qui peut changer leur vie là-bas? »
Notez que la République démocratique du Congo est le pays d’Afrique qui possède le plus grand nombre d’ophtalmologistes. Et que ce nombre s’élève à… 91. Pour une population de 80 millions d’habitants. Ainsi, la plus grande cause de cécité en Afrique est les vices de réfraction, c’est-à-dire des conditions qui peuvent être simplement traitées par le port de lunettes.
Il y a donc un besoin criant auquel la docteure Mwilambwe compte bien remédier en formant sur place des ophtalmologistes, en apportant du matériel spécialisé et en ouvrant un hôpital et une clinique accessibles à tous. Et c’est un projet qui l’enthousiasme particulièrement.
« Quand j’ai reçu les chaises pour la clinique, j’ai pleuré. J’ai pleuré parce que je me disais qu’on allait pouvoir offrir de la dignité à ces gens. Qu’ils allaient pouvoir s’asseoir en attendant le médecin. »
Annick Mwilambwe rêve d’enrayer la pauvreté. « Il faut un minimum de bien-être pour être vertueux. Comment les gens peuvent-ils inventer une fusée, s’ils n’ont pas mangé? », questionne-t-elle, le regard pensif. Pour l’instant, elle est une fourmi : « J’amène mon petit grain de terre afin de créer un jour une belle fourmilière. »
Porteuse d’espoir et de sagesse métaphorique à l’africaine, c’est une femme qui nous laisse bouche bée devant l’intelligence humaine et interpersonnelle.
Et avec elle, on redoute tout à coup bien moins les cataractes.