M’entends-tu, grand-maman? Apparemment, non. Elle n’est pas la seule. Conséquence bien connue du vieillissement, un tiers de la population est atteinte de déficience auditive à partir de 65 ans et la moitié à partir de 75 ans. Jean-Pierre Gagné, professeur titulaire à l’École d’orthophonie et d’audiologie de l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche Caroline-Durand en audition et vieillissement de l’Université de Montréal au Centre de recherche de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal, s’intéresse de près aux conséquences de la déficience auditive sur les activités quotidiennes des personnes âgées.
« Avec l’audition, on touche à la personnalité des gens et à un aspect social important. Si on n’entend pas, on ne communique pas. Cela va à l’encontre même de notre essence d’êtres humains. Nous sommes des êtres sociaux! », dit Jean-Pierre Gagné, lauréat du prestigieux prix « Honneur » remis en septembre 2014 par l’Academy of Rehabilitative Audiology.
Expert reconnu à l’international, l’homme est arrivé dans ce domaine un peu au hasard des rencontres. « Pendant mes études de baccalauréat en psychologie à l’Université Laurentienne de Sudbury en Ontario, un de mes professeurs m’a orienté vers l’audiologie. Rapidement, je me suis passionné pour la recherche sur la déficience auditive. »
Il complète alors une maîtrise en audiologie à l’Université McGill à Montréal (1978) où il croise un conférencier et un éminent professeur américain du Central Institute for the Deaf de Saint-Louis (Washington University, Missouri, États-Unis). Leur discussion marquante scelle l’avenir de M. Gagné. « Je suis parti faire mon doctorat en sciences de la communication avec une spécialisation en audiologie (1983) dans cet institut considéré, à l’époque, comme le “Harvard de l’audiologie”. »
Passent trois années à œuvrer comme audiologiste à Montréal, puis six autres comme professeur en audiologie à l’Université de Western Ontario avant d’être recruté comme professeur à l’École d’orthophonie et d’audiologie de l’Université de Montréal en 1993.
Avec l’audition, on touche à la personnalité des gens et à un aspect social important. Si on n’entend pas, on ne communique pas.
Une approche pleine de promesses
« Les personnes atteintes de déficience auditive attendent sept à dix ans avant de consulter un spécialiste. Pendant ce temps, l’audition se dégrade », dit Jean-Pierre Gagné.
Mais pourquoi attendre si longtemps? « C’est le temps nécessaire pour accepter sa déficience auditive. Il faut comprendre que celle-ci, invisible à l’œil nu, peut être cachée notamment en compensant la perte d’audition par la lecture labiale. » Un réflexe humain associé entre autres à la honte, à la perte de confiance en ses capacités et à une estime de soi en berne.
« Cette autostigmatisation des personnes âgées a des conséquences : isolation sociale, problème de santé mentale voire dépression, rappelle le chercheur. Alors, comment les amener à consulter plus rapidement un professionnel de l’audiologie? »
Son équipe et lui viennent d’y apporter un début de réponse. « Pour un de mes derniers projets de recherche, nous avons recruté des membres de la famille qui avaient la confiance des personnes atteintes de déficience auditive. Une fois formés, ces adultes ont pu informer et sensibiliser leurs parents à aller consulter un audiologiste. Au vu des résultats, cette approche semble très prometteuse. Des essais cliniques vont être lancés prochainement », indique M. Gagné.
Il pousse la réflexion plus loin. « Parfois, on ne peut pas atteindre les proches ou les aidants naturels, car ils sont débordés par leurs tâches quotidiennes. Nous pourrions travailler donc avec des organisations comme Les Petits Frères ou les Chevaliers de Colomb déjà en contact avec les personnes âgées. En tant qu’agent multiplicateur les membres de ces associations sont plus susceptibles d’inciter leurs amis aînés à aller voir un spécialiste de l’audition. Tout comme le ferait un membre de la famille, ils vont agir comme pivot, comme relais de l’information. »
Dans ses paroles, l’envie de faire le lien entre les générations se fait sentir. Une notion de transmission propre à l’amoureux du vin qu’il est. La vigne comme l’humain s’épanouit au contact de l’autre. Qu’il soit terroir ou viticulteur. Entre soins et communication.
Décembre 2017
Rédaction : Bruno Geoffroy
Photo : Bonesso-Dumas