Dispenser les traitements adaptés à l’âge et au sexe des personnes de 65 à 95 ans tout en tenant compte de leur qualité de vie, voilà à quoi ressemble la médecine personnalisée de demain pour Cara Tannenbaum, gériatre et chercheuse à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal, professeure titulaire au Département de médecine de l’UdeM ainsi qu’à la Faculté de pharmacie et, depuis janvier 2015, directrice scientifique de l’Institut de la santé des femmes et des hommes des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC). Une vision propre à battre l’âgisme à plate couture.
« J’adore aider les gens. Je suis entrée en médecine pour ça », déclare-t-elle d’emblée (médecine, McGill, 1994). Oui, mais comment? Son premier stage en soins intensifs, il y a 25 ans, lui ouvre les yeux.
« À cette époque, les femmes recevaient des doses d’œstrogène à la suite d’un infarctus du myocarde. Une dose identique et indépendante de leur constitution physique. Étrange, non? Les hommes traités pour la même pathologie, eux, ne se voyaient rien offrir. Pourquoi cette différence de traitement? » Ce premier grand questionnement motivera ses futurs travaux de recherche.
Attirée par la médecine gériatrique (spécialisation gériatrie, McGill, 2000), elle constate aussi le peu de recherches cliniques faites sur les femmes âgées, bien que leur espérance de vie soit pourtant plus élevée que celles des hommes (83 ans contre 79 ans).
J’adore aider les gens. Je suis entrée en médecine pour ça.
Ainsi, beaucoup de médicaments ont été développés à partir de modèles animaux mâles et testés sur de jeunes individus masculins. « Cela n’a pas de sens. Comment croire qu’ils pourront être adaptés à la physiologie d’une femme de 80 ans? Encourageons les chercheurs et les cliniciens à s’interroger sur les différences homme/femme, mais aussi sur la façon de développer les médicaments », détaille la titulaire de la Chaire pharmaceutique Michel-Saucier en santé et vieillissement.
Remettre en question les modèles de traitement
Saviez-vous qu’après 65 ans, neuf Canadiens sur dix prennent au moins un médicament par jour? Cinq en moyenne! « Si on prend seulement le cas des somnifères, un tiers des personnes âgées au Québec en prend. Pourtant, les effets secondaires ne sont pas négligeables : problèmes de concentration et de mémoire, chutes et pertes d’équilibre… »
Pour aider les patients à s’affranchir de leur dépendance aux somnifères de la classe des benzodiazépines, Cara Tannenbaum a lancé l’étude EMPOWER (Eliminating Medications Through Patient Ownership of End Results). Son but? Informer les patients des risques des somnifères par l’entremise d’une brochure — aujourd’hui traduite en espagnol, en japonais et même en flamand — et leur proposer un sevrage progressif sous supervision médicale! Constat : plus du quart des participants sont parvenus à décrocher! Une réussite.
« Contrairement à ce que l’on pense, les personnes âgées participent activement à la gestion de leur santé si elles sont bien informées, dit la chercheuse. Il faut apprendre aussi aux médecins et aux pharmaciens à “déprescrire” et intervenir auprès des décideurs politiques pour qu’ils favorisent le remboursement de thérapies alternatives à la médication. »
Au travers d’un programme de recherche européen baptisé Era-Age2 (European Research Area in Ageing) qu’elle dirige et mène au Canada, au Royaume-Uni et en France, Cara Tannenbaum s’intéresse à l’amélioration de l’espérance de vie en bonne santé chez les femmes âgées. L’objectif? Lutter contre les tabous liés au vieillissement (incontinence, dépression, prescription de médicaments inappropriés) et réduire la stigmatisation associée.
Passionnée, sa volonté de transformer le système de santé de l’intérieur est palpable. Un jour, elle y arrivera. C’est certain. « Je vais continuer mes recherches tant que je peux aider les gens à une plus grande échelle que si je les voyais individuellement dans ma pratique clinique. »
Septembre 2016
Rédaction : Bruno Geoffroy
Photo : Bonesso-Dumas