D’aussi loin qu’elle se rappelle, Valérie Mongrain a toujours été un oiseau de nuit. « Lorsque j’étais adolescente, je travaillais de 16 h à minuit pour un kiosque de crème glacée, je sortais ensuite avec mes amis, je me couchais à 4 h du matin et je me levais à midi. Pour moi, c’était le rythme idéal, raconte la directrice du laboratoire de physiologie moléculaire du sommeil du Centre d’études avancées en médecine du sommeil (CÉAMS) à l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal. Mais évidemment, tout cela a changé avec l’arrivée de mes deux fils. » C’est ce goût pour la vie nocturne qui a poussé la chercheuse à s’intéresser au sommeil. « Pendant mon baccalauréat en sciences biologiques à l’Université de Montréal, j’ai effectué un stage de recherche avec la Dre Marie Dumont au CÉAMS en chronobiologie, plus précisément sur le chronotype, soit la préférence pour l’horaire de sommeil, explique-t-elle. C’était un projet qui m’interpellait parce que j’étais curieuse de savoir d’où venait ma propre préférence. Et une fois que j’ai découvert qu’il y avait une foule de variations biologiques à l’origine de ce phénomène, j’ai vraiment eu la piqûre pour le domaine. »
Ma thèse a été l’occasion de démontrer que, même si l’horloge biologique est l’un des éléments qui régulent le sommeil, ce n’est pas seulement elle qui détermine la préférence pour l’horaire de sommeil, mais également le degré de fatigue atteint au cours de la période d’éveil.
La jeune femme a donc entrepris une maîtrise en sciences neurologiques, qui s’est finalement transformée en doctorat, à l’Université de Montréal sur les mécanismes régissant le chronotype. « Ma thèse a été l’occasion de démontrer que, même si l’horloge biologique est l’un des éléments qui régulent le sommeil, ce n’est pas seulement elle qui détermine la préférence pour l’horaire de sommeil, mais également le degré de fatigue atteint au cours de la période d’éveil », explique Mme Mongrain, dont les études doctorales ont généré onze articles et lui ont valu un prix de l’Association francophone pour le savoir (ACFAS). La chercheuse a complété sa formation avec deux postdoctorats, qui lui ont donné la possibilité de revenir à ses premières amours en faisant « un saut dans le moléculaire ». Au cours du premier, qu’elle a effectué en psychiatrie à l’Université McGill, elle a étudié l’horloge biologique dans les organes périphériques, alors que durant le second, fait en neurosciences à l’Université de Lausanne, en Suisse, elle a analysé la participation de certains gènes à l’aspect récupérateur du sommeil.
Ce fameux aspect récupérateur et les conséquences du manque de sommeil sur le cerveau sont les deux principales raisons qui ont convaincu Valérie Mongrain de créer son laboratoire au CÉAMS, qu’elle a mis sur pied à la fin de ses dernières études postdoctorales. « L’objectif de mon labo est de comprendre quelles molécules sont impliquées dans le processus de récupération afin de pouvoir identifier de nouvelles cibles permettant de contrecarrer les conséquences néfastes d’un déficit de sommeil et de corriger ou d’atténuer certains symptômes de maladies mentales ou neurologiques », indique-t-elle. Lancé en 2010, le laboratoire compte déjà deux découvertes majeures à son actif. « Dans le cadre de notre projet principal, qui porte sur la famille des neuroligines et neurexines, mon équipe et moi avons déterminé que la neuroligine-1 était un élément important dans la régulation de l’aspect récupérateur du sommeil, affirme la chercheuse originaire de Saint-Jérôme. C’est un sujet d’étude innovateur parce qu’aucun groupe avant nous ne s’était intéressé au rôle de ces molécules dans le sommeil. »
La deuxième avancée majeure émane d’un projet initié par une étudiante au doctorat de Mme Mongrain et l’un de ses collègues. « Cette recherche concerne le lien entre le manque de sommeil et les modifications épigénétiques, précise celle qui est également professeure adjointe au Département de neurosciences de l’Université de Montréal. Les modifications épigénétiques, qui sont associées aux facteurs environnementaux, sont des modifications de l’ADN permanentes ou réversibles qui n’altèrent toutefois pas sa séquence. Dans notre cas, nous examinons l’influence du manque de sommeil sur les modifications épigénétiques. » Les premiers résultats publiés en janvier sont déjà prometteurs. « Nous avons montré que, si l’on maintient des animaux éveillés une seule fois pendant six heures, cela suffit à modifier les marques épigénétiques de plus de 10 000 gènes dans le cerveau, révèle-t-elle. Nous attendons d’autres fonds pour poursuivre nos travaux, mais c’est extrêmement excitant. »
Même si elle a suffisamment de projets pour « remplir quatre carrières de chercheuses », Valérie Mongrain trouve le moyen de s’accorder quelques moments de répit. « J’adore le ski alpin et j’essaie d’en faire huit ou dix fois par hiver, confie-t-elle. Mais ce qui m’occupe le plus, ce sont mes deux fils qui jouent au hockey. Cette année, j’ai dû passer au bas mot 20 heures par semaine à l’aréna. Alors, c’est ça, mon vrai loisir. »
Septembre 2014
Rédaction : Annik Chainey