La projection du film Petite fille de Sébastien Lifshitz a donné lieu à de belles discussions avec la Dre Lyne Chiniara et le Dr Nicholas Chadi. Qu’est-ce que l’identité de genre ? Comment soutenir l’enfant dans ses choix ? En quoi consiste la prise en charge des jeunes trans et de leur famille par les professionnelles et professionnels de la santé ? Lisez le résumé des réponses de nos panélistes et voyez la ciné-conférence en rattrapage.
Le film : Petite fille
« Quand je serai grand, je serai une fille. » Sasha est une enfant comme les autres qui se déguise en fée, danse, joue dans la neige avec ses parents… Une enfant comme les autres, mais avec une identité de genre qui ne concorde pas avec le sexe qu’on lui a assigné à la naissance : Sasha une fille dans sa tête, mais pas dans son corps. Le documentaire Petite fille suit le quotidien de cette enfant de 7 ans et le combat de sa famille pour faire comprendre – et accepter – sa différence.
Nos panélistes : Lyne Chiniara et Nicholas Chadi
La Dre Lyne Chiniara est professeure adjointe de clinique au Département de pédiatrie à la Faculté de médecine et endocrinologue pédiatrique au CHU Sainte-Justine. Elle est cofondatrice et codirectrice de la Clinique de diversité de genre au CHU Sainte-Justine.
Le Dr Nicholas Chadi est professeur adjoint de clinique au Département de pédiatrie à la Faculté de médecine et clinicien-chercheur spécialisé en médecine de l’adolescence et toxicomanie au CHU Sainte-Justine. Il est aussi cofondateur et codirecteur de la Clinique de diversité de genre au CHU Sainte-Justine.
Identité de genre vs dysphorie de genre
Très touchés par le film, les panélistes ont tenu d’abord à démystifier deux termes qui sont au cœur de la réalité vécue par Sasha : l’identité de genre et la dysphorie de genre. Sur le plan biologique, Sasha est née garçon, mais se sent fille et cherche à l’être en apparence. Ce désir inassouvi la rend malheureuse.
L’identité de genre (ou trans) réfère à la perception intime qu’une personne a de son genre – je suis garçon, fille, trans, non-binaire, etc. « L’identité de genre est un sentiment, une perception intime et profonde, et peut être différente de l’expression de genre qui, elle, est ce qu’on choisit de montrer au monde extérieur », explique le Dr Chadi. « Le mot trans s’applique à toute personne qui ne s’identifie pas au sexe qui lui a été assigné à la naissance, ajoute la Dre Chiniara. Les études le montrent : plus les comportements non concordants avec le sexe assigné à la naissance sont importants en bas âge et persistent à l’adolescence, plus la diversité de genre a des chances de rester. »
La dysphorie de genre est un terme utilisé en santé mentale pour désigner une personne qui souffre d’anxiété, de dépression et d’irritabilité, et qui a le désir de vivre selon un genre différent. « Ce ne sont pas toutes les personnes trans qui présentent une dysphorie de genre. Mais souvent, les jeunes trans vont souffrir de troubles de l’humeur comme la dépression, ou de troubles anxieux comme l’anxiété sociale. Certains vont jusqu’à refuser ou éviter d’aller à l’école », précise le Dr Chadi.
Soutenir l’enfant dans ses choix
Beaucoup de parents éprouvent de la culpabilité et vivent un deuil, car ils doivent apprendre à connaître leur enfant différemment. Dans une scène du film, quand le médecin interroge la mère sur sa grossesse, celle-ci se demande si Sasha ne serait pas trans parce qu’elle a voulu une fille ! La question se pose alors : une pensée peut-elle engendrer une dysphorie de genre ? Absolument pas, répond le Dr Chadi. « On ne peut pas dire ce qui amène un ou une jeune à s’identifier de telle ou telle façon. C’est le résultat de plusieurs facteurs. »
Toutefois, une chose est sûre : plus la famille et l’entourage se montrent ouverts, acceptants et compréhensifs, plus l’enfant trans va s’épanouir dans sa nouvelle identité. « Ce qui est beau dans le film, c’est le soutien de la famille. Les parents et la fratrie se mobilisent pour défendre les droits de Sasha. L’acceptation scolaire est aussi très importante. Tout commence par la direction », insiste la Dre Chiniara.
« Au Québec, les écoles et les milieux communautaires sont de plus en plus ouverts à cette réalité, poursuit le Dr Chadi. Reste qu’il y a encore un grand travail de sensibilisation et d’éducation à faire. C’est aussi vrai pour les professionnelles et professionnels de la santé. On doit porter plus attention aux questions d’identité de genre dans les cursus académiques. »
La prise en charge par les experts
Lorsqu’une jeune personne trans et sa famille se présentent dans le bureau d’un ou une spécialiste en matière de diversité de genre, c’est dans le but d’être écoutée, guidée et appuyée. Car tel est l’objectif ultime des soins « trans affirmatifs » : soutenir le développement d’un ou une enfant transgenre ou en questionnement.
La prise en charge commence par une évaluation interdisciplinaire. « On considère les jeunes et leur famille dans toutes les facettes de leur vie, que ce soit à la maison, à l’école, dans les activités parascolaires, etc. Pendant l’accompagnement, on met tout en œuvre pour que le ou la jeune puisse s’épanouir et vivre son enfance », indique le Dr Chadi.
On lui laisse aussi le temps d’explorer et de forger son identité avant d’aborder le volet médical, c’est-à-dire la possibilité de bloquer la puberté dès les premiers signes de son apparition. Cette option est complètement réversible, comparativement à la puberté qui, elle, provoque des changements corporels irréversibles – poussée de croissance, voix grave, pomme d’Adam, pilosité, musculature, changements au niveau des organes génitaux. Lorsque les jeunes sont en âge de se projeter dans le futur et de comprendre l’impact des hormones, on peut alors considérer l’hormonothérapie affirmative si telle est leur volonté. Les changements irréversibles et les impacts sur la fertilité que ces médicaments peuvent provoquer sont bien expliqués pour permettre une décision éclairée.
Conseils pratiques aux professionnels de la santé
« Notre rôle est d’accompagner les jeunes à chaque étape de leur transition pour leur permettre de vivre en accord avec leur identité », indiquent les deux panélistes. Voici leurs recommandations :
- Pratiquer l’écoute attentive, sans jugement. Laisser les jeunes s’affirmer, expérimenter (vêtements, maquillage, etc.) et exprimer leurs besoins. Ils savent ce qui est bon pour eux.
- Demander le prénom ou le surnom que la personne préfère utiliser.
- S’informer : Te sens-tu bien dans ton corps ? Es-tu à l’aise avec la façon qu’il se développe?
- Adapter le bureau à la réalité des personnes LGBTQ2S+ (drapeau arc-en-ciel, toilettes non genrées, etc.) Ces détails peuvent mettre les jeunes en confiance.
- Pour un suivi médical plus poussé, recommander les enfants à des professionnelles et professionnels de la santé spécialisés en diversité de genre.
- Inciter les parents à joindre des groupes d’entraide ou à contacter des organismes de soutien pour les jeunes de la diversité de genre, par exemple Jeunes identités créatives, ou encore le CLSC pour de l’assistance psychologique ou en travail social. Plusieurs organismes communautaires offrent des ateliers en région.
- Enfin, rappeler aux parents que le fait d’avoir accompagné leur enfant à leur rendez-vous est déjà une belle preuve d’ouverture.
Par Mylène Tremblay