Marie-Chantal Fortin : l’éthique du don d’organes

La greffe d’organes est l’une des avancées les plus importantes de l’histoire de la médecine. Appartenant autrefois au domaine de la science-fiction, ces interventions médicales sont aujourd’hui des opérations presque routinières.

Si la médecine évolue rapidement, un enjeu majeur subsiste pourtant : le fossé reste grand entre le nombre de personnes transplantées et celles toujours en attente. Cette dichotomie incite les spécialistes de la planète à envisager des stratégies afin de combler ce manque d’organes à des fins de transplantation.

Ces réflexions ne sont pas sans soulever des interrogations d’ordre juridique, moral, social, voire économique; Que doit-on penser de la commercialisation des organes? Des critères qui guident l’attribution des organes? Du don entre personnes vivantes? Des marqueurs biologiques plus rares qui pourraient améliorer la survie des greffons mais défavoriser certains patients issus des communautés ethniques? Du don après l’aide médicale à mourir?

Voilà autant de questions qui animent la docteure Marie-Chantal Fortin, chercheuse au Centre de recherche du CHUM et professeure au Département de médecine. Également néphrologue au sein de l’équipe de transplantation rénale du CHUM, la docteure Fortin s’intéresse à l’éthique derrière la transplantation et le don d’organes.

C’est lors de sa formation doctorale en bioéthique à l’Université de Montréal qu’elle développe un intérêt pour les représentations des transplanteurs québécois autour de la question du don entre vivants, autrefois appelés donneurs altruistes ou bons samaritains. « À cette époque, au début des années 2000, le phénomène des donneurs altruistes était nouveau. On se demandait si c’était éthique d’accepter ces organes, on se questionnait sur l’éventualité de pathologies psychologiques particulières, etc. »

À la même époque, la docteure Fortin participe également à l’élaboration des lignes directrices de la Société canadienne de néphrologie et de la Société canadienne de transplantation sur la question du tourisme de transplantation. Avant 2008, soit avant la Déclaration d’Istanbul contre le trafic d’organes et le tourisme de transplantation, le phénomène était très répandu.

« Très souvent, les organes provenaient de personnes pauvres qui ne recevaient ni suivi médical adéquat ni compensation monétaire suffisante. On a donc appelé les pays à être auto-suffisants, considérant qu’il n’est pas éthique que les pays riches aillent piger dans les ressources des pays plus démunis où habitent tout de même des patients avec des besoins. »

Accroître les options

Aujourd’hui, la néphrologue s’intéresse toujours au don vivant, mais surtout dans un contexte de programmes d’échange. Par exemple, elle s’est penchée sur certaines modalités reliées au programme d’échange qui permet aux donneurs et aux receveurs incompatibles entre eux de donner de façon interposée. « En fait, on propose des échanges de duos. D’un côté, on a un donneur X qui a une sœur qui a besoin d’un rein, mais avec qui il n’est pas compatible. D’un autre côté, un donneur Y a un frère qui a aussi besoin d’un rein, mais avec qui il est également incompatible. On propose alors de faire un échange à quatre : le donneur X donne au frère du donneur Y et ce dernier à la sœur du donneur X. » En invitant ainsi des paires de prime abord incompatibles, on peut espérer un nombre accru de greffes.

Pour optimiser les chances de compatibilité, la docteure Fortin évalue également une avenue plus audacieuse : le don différé avec ou sans échange de certificat. « Cette idée a émergé aux États-Unis. Un garçon est né avec un seul rein, et son grand-père se disait que si jamais l’enfant avait besoin d’un rein dans le futur, lui-même serait alors trop vieux pour lui en donner un. Il a donc voulu donner un rein tout de suite, de façon anonyme, pour ainsi commencer une chaîne de donneurs, dans laquelle son petit-fils aurait l’assurance de recevoir un rein plus tard, lorsqu’il en aurait besoin. On lui décerne alors un « voucher » (un certificat de priorité), soit sa certitude d’être priorisé au moment échéant. »

La chercheuse étudie ainsi les possibilités de construire un programme canadien du même type qui serait éthiquement acceptable dans notre contexte socio-culturel.

Des retombées considérables

Les travaux de la docteure Marie-Chantal Fortin s’avèrent plus que pertinents dans un contexte québécois où la demande excède l’offre de manière générale. Mais ils deviennent essentiels pour une portion précise de la population : les receveurs du groupe sanguin O, ces personnes ne pouvant être transplantées qu’avec des organes appartenant au même groupe.

« Il est important de rappeler que la compatibilité ne se joue pas seulement sur le plan du groupe sanguin, mais aussi au niveau des anticorps et des antigènes, et au niveau immunologique. Certes, le recrutement de paires incompatibles augmente tout de même les chances des receveurs du groupe O d’avoir accès à une transplantation de donneur vivant. »

En somme, la pratique et la recherche de la docteure Fortin permettent de raffiner l’allocation des organes et d’améliorer les programmes de dons, mais aussi de respecter l’autonomie et les dernières volontés des gens qui veulent donner.

Tout ça, dans l’espoir de sauver les quelques 800 personnes qui attendent annuellement des organes au Québec.

 

Rédaction : Béatrice St-Cyr-Leroux

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