Plongé dans une crise sanitaire et humanitaire sans pareille, le système de la santé québécois a rapidement fait part d’un manque criant de personnel.
Interpellés, plusieurs étudiants de la faculté, tous programmes confondus, ont répondu positivement aux appels à l’aide des établissements et du premier ministre Legault. Librement et volontairement, ils ont mis à profit leur expertise en santé, leur jeunesse et leur temps libéré par la fin du semestre pour faire une différence.
Parmi les étudiants mobilisés, cinq d’entre eux ont accepté de partager leur expérience :
- Loïze Maréchal : candidate au doctorat en physiologie moléculaire cellulaire et intégrative, elle travaille comme aide aux préposés aux bénéficiaires à la Résidence du Bonheur, à Saint-François de Laval.
- Alexis Marion : étudiant à la maîtrise en génie biomédical, il travaille comme aide aux préposés aux bénéficiaires au Centre d’hébergement Réal-Morel, à Verdun.
- Kassaundra MacDonald : finissante au doctorat de premier cycle en médecine, elle travaille en prévention des infections à la résidence privée pour aînés L’Alto, à Ville Saint-Laurent.
- Samuel Delisle-Reda : finissant au doctorat de premier cycle en médecine, il travaille en prévention des infections à la résidence privée pour aînés la Résidence Héritage Plateau sur le Plateau Mont-Royal.
- Nazdar Roy : étudiante au baccalauréat en neurosciences, elle travaille comme aide aux préposés aux bénéficiaires au Centre d’hébergement des Seigneurs, à Montréal.
Pourquoi avoir décidé de prêter main forte?
Alexis Marion : Je vois ça comme un devoir civique. Le centre n’est pas loin de chez moi et ils sont en manque de personnel. Les résidents ont besoin d’aide, je ne voulais pas qu’ils soient laissés à eux-mêmes, que la tragédie devienne encore plus grande.
Loïze Maréchal : Après la fermeture de mon labo au Centre de recherche du CHU Ste-Justine, j’ai bien vite senti que l’inaction me déprimait. À la limite, ça me renvoyait même à mes choix de carrière, de valeurs, je me disais que j’étais inutile pour la société parce que je n’apportais rien. Je trouvais aussi tellement triste de savoir qu’on n’avait pas le temps d’offrir certains soins à cette population, de leur tenir la main.
Est-ce que le milieu était prêt à vous recevoir?
Nazdar Roy : Pas du tout. La première journée était vraiment la pire. J’ai été lancée dans le vide sans indication et je n’étais pas jumelée à un préposé tel que supposé. Bien sûr, je suis arrivée en plein milieu de la crise, les choses se sont ensuite placées dans les semaines suivantes. Mais au début, c’était un défi de se retrouver, on me donnait des tâches que je n’avais jamais faites auparavant et je n’avais personne pour m’expliquer et valider mes actions.
Kassaundra MacDonald : Je travaille dans un milieu particulier. Quand je suis arrivée, rien n’était en place, aucune structure pour le port des équipements de protection, peu de formation. J’ai vraiment trouvé ça difficile, le manque de communication entre l’administration et les employés. Je pense que ce n’est pas pour rien que la situation a explosé; dès le premier cas, il aurait dû y avoir des mesures plus strictes, plus précises. Ils ont été pris au dépourvu et ont manqué de structure et de ressources.
Samuel Delisle-Reda : Contrairement à ma collègue Kassaundra, l’accueil dans ma RPA a été excellent. Dès notre arrivée, nous avons été introduits au coordonnateur des soins, puis avons rempli la paperasse rapidement pour ne pas avoir d’interruption de travail. Mes tâches consistaient alors plus à créer des protocoles pour le déconfinement progressif et l’arrivée des proches aidants, qu’à la prévention des infections et à la gestion de crise.
Vivez-vous beaucoup de stress au travail?
Loïze Maréchal : J’aime aller travailler, mais je me sens un peu comme un sportif de haut niveau avant un match : on sait ce qu’on doit faire, mais on ne sait pas exactement qui sera en face de nous et qui seront nos alliés. Le personnel change tellement que, d’un jour à l’autre, on ne sait pas qui seront nos collègues sur le plancher, s’il y aura trop de personnel ou pas assez, si des résidents seront décédés ou même s’il y en aura des nouveaux. On fait face à de l’inconnu total et ça engendre pas mal de stress. Après quatre jours en ligne, c’est très difficile. On vit beaucoup d’anxiété, des gens sont morts dans mes bras, vous savez. Des gens qui, au fil du temps, deviennent notre famille, puisqu’on vient à les connaitre intimement.
Samuel Delisle-Reda : Je ne vis pas de stress au quotidien parce qu’il n’y a pas de grosses éclosions où je suis. Par exemple, nous n’avons pas à porter de blouses, ce qui est agréable. Mais je sais que je vis un gros luxe. J’essaie donc d’être solidaire avec mes collègues en milieux plus complexes, en les aidant à réfléchir à des pistes de solution, à des améliorations potentielles.
Qu’apprenez-vous de cette expérience?
Alexis Marion : J’aime beaucoup mon travail. J’adore interagir avec les résidents. C’est un moment difficile pour eux, ça fait vraiment plaisir de pouvoir être là, de discuter avec eux, d’essayer de rendre leur journée un peu meilleure. Si nous n’étions pas là, peut-être que personne ne serait venu, et pour eux « ça fait leur journée » de pouvoir parler 30 minutes avec quelqu’un. J’adore être complètement dédié à eux et ne pas être là que pour faire leurs soins.
Kassaundra MacDonald : Ça prend beaucoup de créativité et d’adaptation. J’apprends aussi à développer mon sens de l’organisation avec des ressources limitées et des tâches qui me sortent de ma zone de confort. Aussi, comme je travaille avec tous les membres du personnel, je dois apprendre à communiquer, interagir et collaborer. Toutes des aptitudes essentielles pour mon futur métier de médecin de famille.
Loïze Maréchal : En étant candidate au doctorat en recherche, je pratique un métier plutôt solitaire. Le travail en CHSLD est très différent, au sens où nous devons apprendre à travailler en équipe, nous n’avons pas le choix. D’un point de vue plus profond, les personnes âgées forment une population qui m’a toujours intéressée, mais je dois avouer que j’ai toujours eu un peu peur des déficits cognitifs. Peur parce que je me sentais très impuissante dans la communication, j’appréhendais la difficulté à comprendre leurs besoins. Depuis que je les fréquente 3-4 fois par semaine, je me suis rendu compte que ces gens, il faut vraiment les humaniser, apprendre à les connaître.
Suite à votre expérience, quel message voudriez-vous passer à votre communauté?
Nazdar Roy : Je pense que ça vaut la peine de le répéter : cette expérience me fait réaliser à quel point il faut qu’il y ait des changements, que ces milieux de soins soient réorganisés. Nos aînés méritent mieux que ça, je veux que mes parents aient mieux que ça. Si ça pouvait faire allumer une petite lumière dans la société, il y aurait au moins ça de positif!
Rédaction : Béatrice St-Cyr-Leroux