Un panneau publicitaire prônant le scepticisme envers les vaccins à Toronto, une blogueuse américaine populaire qui encense un calendrier vaccinal alternatif, de nombreuses éclosions de rougeole à travers la planète, l’OMS qui liste la « méfiance à l’égard des vaccins » parmi les Dix menaces pour la santé mondiale en 2019. Bienvenue à l’ère du mouvement anti-vaccin.
En 1998, un certain docteur Andrew Wakefield avait publié dans la revue scientifique britannique The Lancet une étude frauduleuse démontrant un lien direct entre le vaccin rougeole-rubéole-oreillons (RRO) et l’apparition de l’autisme chez les enfants. Dire que l’article avait suscité la commotion serait un euphémisme.
Même si la corrélation a été démentie maintes et maintes fois, le mal était déjà fait. Encore aujourd’hui, les militants anti-vaccin se servent de cette étude pour prouver leur point, et de nombreux parents craignent de faire vacciner leurs enfants. « Bien que cet article ait été rétracté pour cause de fraude scientifique, on passe encore notre temps à défaire ce mythe », mentionne la docteure Caroline Quach-Thanh, chercheure, pédiatre microbiologiste-infectiologue au CHU Sainte-Justine et professeure titulaire au Département de microbiologie, infectiologie et immunologie de l’Université de Montréal.
Un défi de tous les jours
À cet âge où la désinformation est maître, les professionnels de la santé doivent redoubler d’efforts pour rétablir les faits et rassurer la population.
« Pour nous les professionnels de la santé, c’est très difficile, ajoute la docteure Quach-Thanh. On œuvre dans le domaine scientifique, mais le mouvement est multifactoriel : il est comportemental et anthropologique. Comme scientifiques, on a besoin du support des sciences humaines et sociales. »
Cette tâche est d’autant plus prenante pour les médecins de première ligne qui doivent directement faire face à des parents vaccino-sceptiques.
La docteure Daphné Handanos, médecin de famille à la Clinique universitaire de médecine de famille – GMF de Verdun et professeure adjointe de clinique au Département de médecine de famille et de médecine d’urgence de l’Université de Montréal s’est confiée sur le sujet.
« Il y a tout un processus quand je rencontre des parents incertains. Je leur demande tout d’abord ce qu’ils craignent : est-ce que ça concerne les vaccins en général ou un particulier, comme le RRO? Et si c’est ce dernier, j’explique d’où vient le mythe Wakefield, pourquoi c’était une fraude. Ensuite, j’aborde les conséquences graves des maladies qu’il protège, comme l’encéphalite pour la rougeole. Finalement, je leur dis que la non-vaccination peut aussi être dangereuse pour l’entourage de l’enfant non vacciné, pour ceux qui sont immunosupprimés, les bébés, les femmes enceintes, etc. »
La docteure Handanos, qui cumule 25 ans de pratique en médecine familiale, rappelle qu’il n’existe aucune donnée scientifique pour appuyer la théorie selon laquelle le vaccin RRO provoque l’autisme, ni d’autres troubles envahissants du développement. « Nous avons beaucoup de difficulté à faire disparaître cette croyance. Il y a de plus en plus d’autistes diagnostiqués. C’est donc facile de blâmer le vaccin RRO quand il est administré au même moment que le dépistage pour l’autisme. »
« Le problème avec l’autisme, c’est qu’on n’en comprend pas pleinement la cause, ajoute la docteure Quach-Thanh. Mais dans l’attente d’avoir des données probantes qui démontrent que l’autisme est causé par X ou Y, on ne peut pas se mettre à tout éliminer non plus. »
Faire reculer la médecine, un tweet à la fois
Selon la docteure Quach-Thanh, les réseaux sociaux ont un rôle « immense » dans la propagation des idées anti-vaccinales. « Beaucoup de gens y partagent des opinions sans avoir d’expertise et elles sont malgré tout perçues comme des expertises, précise-t-elle. Les gens qui ont un large auditoire devraient réaliser qu’ils ont aussi une responsabilité face à cet auditoire. »
La docteure Handanos est également d’avis que « les plateformes sociales convoient des informations souvent trompeuses sur lesquelles se basent les activistes anti-vaccin. »
Et au Québec?
Bien que le mouvement anti-vaccin soit moins présent au Québec qu’au Canada anglais et qu’aux États-Unis, la docteure Quach-Thanh rappelle que « les risques du mouvement anti-vaccin sont bel et bien réels, et appartiennent à notre réalité actuelle ».
D’ailleurs, en 2017, le gouvernement du Québec a mis sur place le Programme d’entretien motivationnel en maternité pour l’immunisation des enfants (EMMIE), dans l’espoir de freiner la montée du mouvement. L’initiative a pour objectif d’encourager les attitudes positives des parents à l’égard de la vaccination afin d’obtenir un meilleur respect du calendrier de vaccination recommandé chez les enfants.
« Au Québec, on n’a jamais prôné la vaccination obligatoire. On s’est toujours dit que par le dialogue et l’éducation on était capables d’atteindre nos objectifs. Mais on est rendus à un point où, comme professionnels de la santé, on se demande ce qu’on peut vraiment faire. Les vaccins sont efficaces et sécuritaires. Malheureusement, ils sont victimes de leur succès. »