Depuis 2011, le Département de psychiatrie de l’Université de Montréal et la Faculté de médecine de l’Université d’État d’Haïti ont réussi à concrétiser des projets d’enseignement significatifs. Après le tremblement de terre qui a frappé le pays, une équipe du département s’est rendue sur place avec l’aide de la TÉLUQ avec pour mission d’enseigner aux psychologues de l’Association haïtienne des psychologues et de donner des formations au sein de l’Université d’État d’Haïti grâce à une subvention du Bureau canadien de l’éducation internationale.
Le département s’est aussi impliqué auprès de la Faculté de médecine de l’Université Notre-Dame d’Haïti pour l’enseignement aux étudiants externes et aux résidents en psychiatrie. Au début du projet, il n’y avait que deux ou trois résidents en formation pour assurer la relève dans le pays, alors qu’il comptait neuf millions d’habitants et seulement 12 psychiatres actifs. Sachant qu’au Québec, nous visons un ratio de 12 psychiatres pour 100 000 habitants, il va sans dire que les besoins étaient criants.
La mission était d’autant plus importante qu’il fallait assister les facultés haïtiennes dans l’établissement de nouveaux modèles de pratique adaptés au contexte local, tout en s’assurant que les étudiants aient un cursus contemporain permettant d’offrir des soins psychiatriques de qualité à la population haïtienne. L’approche communautaire était bien sûr très fortement envisagée. Nous avons ainsi supervisé les résidents, essentiellement au Centre Mars & Klien affilié à l’Université d’État et maintenant, quatre ans plus tard, on y retrouve 19 résidents en psychiatrie.
Chaque année, six ou sept professeurs de notre département partent en mission pour donner des cours, assurer des supervisions et visiter les lieux de soins. Bien entendu, il existe un décalage important entre le Québec et Haïti, mais nous avons pu observer des exemples très intéressants de développement communautaires dans des réseaux comme à Grand Goave, où un projet financé par Grand Défi Canada a permis de soutenir une équipe de santé mentale au sein de la communauté.
[sidebox align=right]Au début du projet, il n’y avait que deux ou trois résidents en formation pour assurer la relève dans le pays, alors qu’il comptait neuf millions d’habitants et seulement 12 psychiatres actifs. Sachant qu’au Québec, nous visons un ratio de 12 psychiatres pour 100 000 habitants, il va sans dire que les besoins étaient criants.[/sidebox]
Depuis tout récemment, les professeurs bénéficient également d’une subvention de la Direction des affaires internationales de l’UdeM. Les patrons partent essentiellement sous forme de bénévolat en mission d’enseignement dans ce pays dont la proximité de Montréal facilite grandement les missions.
Quand je donnais, par exemple, le cours sur la psychose, nous étions accompagnés de deux résidents en psychiatrie de l’UdeM (un junior et un senior) pour aider à donner le cours et aider à la supervision des étudiants et des autres résidents. L’une des résidentes, Marie-Ève Blain-Juste, a d’ailleurs profité de son séjour pour réaliser des capsules vidéo qui aident à bien comprendre la réalité du pays.
Outre les différences d’organisation et de confort des soins, l’enseignement tient compte du contexte culturel, politique et religieux d’Haïti. En particulier, une familiarisation avec la culture vaudou était nécessaire pour nuancer des interprétations de certains signes cliniques et comprendre également les différents niveaux d’analyse clinique et thérapeutique. À travers ces séjours, les patrons, comme les résidents, constatent la précarité en même temps que l’immense volonté de se prendre en charge de la communauté. Notre contribution à l’enseignement se veut un accompagnement d’organismes comme Rebâti Santé Mentale ou Grosame ou en complément aux actions de certaines ONG déjà sur place.
Lors de missions de ce genre, il est important d’être bien accepté et accueilli par le milieu. Dans ce cas-ci la participation des étudiants au sein des deux facultés de médecine s’est avérée extraordinaire. Ce genre d’expérience relativise également notre savoir et notre expérience clinique, comme lorsqu’il s’agit d’évaluer des signes cliniques en rapport avec la persécution ou la méfiance, par exemple. D’autres croyances conditionnent les lieux d’hospitalisation comme au Défilé de Beudet, où le mur de l’institution psychiatrique n’est pas fait pour empêcher que les patients quittent l’institution, mais pour les protéger des envahisseurs qui viennent les voler ou abuser d’eux pendant la nuit.
Il y a donc des bouleversements importants dans notre pensée de professeur et d’étudiant qui se manifestent à travers ce stage. Les résidents qui nous accompagnent sont enrichis d’une expérience qui modifie profondément et à long terme leur façon de penser les soins en psychiatrie. À nous désormais de bien envisager ce que serait une compétence CanMed sensée pour aider intelligemment à la formation des futurs psychiatres haïtiens. De plus, on voit combien sont importantes la culture, la musique, la danse dans la résilience. On dit souvent qu’Haïti est un pays où la misère est joyeuse. Il vaut mieux en effet un pays ou la misère est joyeuse qu’un pays ou la joie est misérable.
Emmanuel Stip
Département de psychiatrie
Photos : gracieuseté du Dr Emmanuel Stip